JEUX DE MAUX ET MOTS DE JEUNES

QUI SONT CES PERSONNES DIFFÉRENTES, FEMMES ET HOMMES DÉSIGNÉS PAR TANT DE MOTS DIFFÉRENTS ?

« Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître…« , cette belle et mélodieuse phrase me permet et m’encourage à m’interroger sur un phénomène linguistique actuel : combien et ô combien beaucoup (trop ?), de signifiants sont utilisés pour qualifier les gens plus vieux que nous, quand il me semble ne connaître que le mot « jeune » pour parler des gens plus jeunes ?

Je me demande bien pourquoi ? Quel sens donner à tous ces mots ? Commençons par en faire l’inventaire. Voilà tout ceux que j’ai pu entendre et qui me viennent à l’esprit (je vous propose de les accompagner de leur définition respective):

  • « Vieux » : « Qui a vécu longtemps ; qui est dans la vieillesse. » ou « Qui a les caractères physiques ou moraux d’une personne âgée. »
  • « Aînés » : « Personne plus âgée que telle autre« 
  • « Seniors » : « Personne de plus de 50 ans« 
  • « Personnes âgées » :  » Une personne âgée est, pour le sens commun, une personne dont l’âge est avancé et qui présente les attributs physiologiques et sociaux de la vieillesse tels que la société se les représente« 
  • « Les anciens » :  » Qui a existé il y a longtemps« 

En connaissez vous d’autres ?

Il est intéressant de voir le rapprochement entre l’adjectif vieux et personne âgée. En effet quelqu’un de vieux est celui ou celle qui à les « caractéristique d’une personne âgée« . Et une personne âgée est celui ou celle qui a les « attributs de la vieillesse« . Finalement leur lien me semble déjà circulaire. Ces deux adjectifs au delà d’être des synonymes me semble être redondant ou être à la limite de la tautologie (« une personne âgée est une personne vieille »). Un autre point de vue peut être de considérer que l’adjectif vieux se réfère plus précisément au processus du vieillissement ou au phénomène naturelle de la vieillesse.

Celui de « personne âgée » renvoie à la notion sociologique de l’âge. Ils aborderait et définirait 2 situations différentes : la vieillesse et l’âge.

Ce qui peut être intéressant à considérer, car cela peut nous amener à nous demander si la vieillesse peut se définir uniquement avec la notion sociétale d’âge (rappelons que l’âge est dépendant de notre anniversaire et que certaine cultures ne « fêtent » pas leur naissance tous les ans et définissent leurs « vieux » sur d’autres « critères » sociétaux et culturels).

Si nous faisons cela, nous nous rapprochons de l’adjectif « seniors » qui lui semble résumer la « personne de plus de 50 ans ». Qui sont ces personnes et comment les définir ? Comme âgées ? Il semble que administrativement nous soyons des personnes âgées à partir de 60 ans (date de départ à la retraite en moyenne + date de départ du droit à l’APA). Les « seniors » se situent ils entre les âges de 50-60 ans ? Sont ils ces futurs ou jeunes retraités actifs et consommateurs ? Est ce peut être cela qui nous intéresse ? Catégoriser les personnes plus âgées que nous en fonction de leur pouvoir d’achat ? Créer une catégorie pour les seniors qui ont réussi à « bien vieillir » car ils peuvent encore consommer versus les « personnes âgées« , elles plus vieilles qui ne consomment plus et qui commencent à coûter au contribuable car devenues (dixit le gouvernement), le « problème de la dépendance » en France ?

Ne reste ensuite que les signifiants « aînés » et « anciens » qui désignent ce qui est plus vieux/âgés que celui qui les utilisent (cad dans une comparaison entre soi et l’autre).

Il semble donc que la notion de vieillesse et d’hommes (et de femmes), vieux n’ait pas suffit au vocabulaire sociétal et qu’il fut donc crée et conceptualisé seniors et personnes âgées

Et dans quel sens et quel but ? Je vous en propose ma propre interprétation, basée sur mon expérience de terrain et mes lectures.

Le premier constat est que nous sommes passé d’adjectifs (vieux, vielles, jeunes, …), à la conceptualisation d’une catégorisation des personnes en créant les termes personne âgée et seniors. Puisque nous ne disons pas : « il est plus/moins senior que moi » « elle est plus/moi une personne âgée que moi« . Nous exprimons plutôt : « C’est un senior. » « C’est une personne âgée« . Remarquez d’ailleurs comment nous disons généralement un senior et une personne âgée. Nous avons aussi opposé le féminin et le masculin.

Dans cette perspective, si cela va au delà de créer de nouveaux adjectifs et correspond à un besoin (de quelle origine sociétale ?), de créer de nouvelles catégories de personnes, à quoi (et qui), servent elles ?

Pour réfléchir à la médicalité ou la médicalisation de la notion de « personne âgée« , nous pouvons réfléchir aux antagonismes respectifs entre les signifiants.

  • « Jeune » > « vieux
  • « Aînés » > « Cadets »
  • « Anciens » > « Récents »
  • « Personnes âgée » > ? ( ou dans la suite de l’infantilisation croissante des personnes plus vieilles nous pourrions écrire en face : « nourrisson » ou « nouveau né » ?)
  • « Seniors » > « Benjamins » ou « cadets » ? (redondants avec « aînés »)

Sommes nous là face à la création d’un concept médical, faussement sociétal que serait la personne âgée (concept asexué également, puisque il ne me semble pas pouvoir dire le personne âgé(e) ?). Création d’un signifiant que nous pouvons ainsi opposer au concept de seniors (personnes plus âgées actives, en bonne santé et consommatrices). Ainsi en instaurant ces 2 concepts qui s’opposent, nous leurs offrons la possibilité de co-exister et d’affirmer mutuellement la crédibilité de leurs existences.

Nous avons donc d’un côté la catégorie des personnes du Bien Vieillir et par opposition à celles du Mal Vieillir ? Et nous semblons donc créer une responsabilité personnelle. Cad que nous provoquons l’intériorisation de leur responsabilité à réussir ou non à bien vieillir (Comment cela peut se mesurer objectivement ?). Et par la même diminuons grandement la véritable responsabilité de la société et des politiques publics actuelles.

Nous voyons donc apparaître encore une fois une opposition entre ceux qui ont « réussit » (les seniors), et ceux qui ont donc « échoués » (les personnes âgées dépendantes). Car vous pouvez constater que nous ne disons pas les seniors dépendants. La dépendance est devenu une corollaire de personne âgée. Une personne âgée est dépendante par définition. Puisque en EHPAD (Etablissement d’Hébergement Pour Personnes Âgées Dépendantes), sont accueillis des personnes âgées et non des seniors. Les seniors sont en Résidence Seniors (qui semblent bien plus « chic » qu’un EHPAD ?).

Cela provoque donc une approche catégorielle et non transversale (la catégorisation fait de tout façon partie à mon sens de l’approche médico-médicale dominante en France). Un senior peut il devenir dépendant et donc se transformer en une personne âgée ? Et une personne âgée peut elle récupérer de l’autonomie et être moins dépendante au point de devenir un senior ?

Par extension, le « problème de la dépendance » peut il devenir au bout de ce raisonnement le « problème personnes âgées » ?

Les personnes âgées qui ne peuvent plus consommer et acheter les produits du capital vont elles devenir un « problème » ? Les seniors qui ont réussis à bien vieillir aux sont ils la solution au problème ? Allons nous privilégier les seniors consommateurs aux détriments des personnes âgées dépendantes ? Est cela qui sous tend le concept de silver économie ? Allons nous faire un distingo entre les seniors et les personnes âgées ? Peut être que cela peut expliquer la récente manifestation des auxiliaires de vie, qui elles aident au quotidien (jusqu’à l’épuisement par manque de moyens financiers et organisationnels), les personnes âgées dépendantes.

Somme nous en train de médicaliser le « problème » des personnes âgées dépendantes et en face de capitaliser sur les seniors ?

Pourrions nous offrir les moyens sociétaux aux personnes âgées de devenir des seniors ? (et pas seulement les soulager et/ou les aider à supporter leur dépendance à l’autre pour des activités de vie quotidienne) : Pouvons nous imaginer une conception autre que purement médicale de la « dépendance » des personnes plus vieilles que nous ? Si nous considérons que ce concept de dépendance à l’autre, n’est pas purement médicale (et donc de la responsabilité de la personne), et aussi social, psychologique, affectif, familiale, géographique et situationnel et donc que la « dépendance » n’est pas que dépendante de la personne mais plutôt une situation de dépendance (au même titre que nous réfléchissions aux situation de handicap depuis le nouveau modèle de l’OMS).

Notre objectif pourrait alors devenir, de prévenir et de sortir les personnes plus vieilles de leurs situations de dépendance qu’elles soient seniors ou âgées.

Et vous ? Qui allez vous devenir ? Ou comment voulez vous que l’on vous nomme? Un senior ou une personne âgée ?

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